Tailler un chevalet

Chevalet de violoncelle

Le chevalet, pièce d’érable qui soutient les cordes, est une pièce primordiale dans la transmission du son de l’instrument. L’ajustage de ses pieds, sa hauteur, son épaisseur et la taille finale sont autant de paramètres qui influent sur la sonorité de l’instrument. Un travail soigné lors de la réalisation du chevalet assure au musicien une grande facilité de jeu (technique) et une palette sonore aussi riche que possible (acoustique).

Voici un reportage photo complet sur les différentes étapes de la réalisation d’un chevalet de violoncelle (taille 1/2, les cotes exprimées par la suite correspondent à cette taille).

Pour chaque instrument, je choisis le chevalet « brut » adapté. Il existe de nombreux modèles qui déclinent les qualités de bois, de hauteur du coeur, et largeur de pieds. Alors, en fonction de la qualité de l’instrument, du renversement, de la position de la barre d’harmonie et des ff, je sélectionne le modèle adéquat.

Je diminue d’abord l’épaisseur des pieds (11 mm) au rabot. Je positionne l’écarteur de pieds qui vient remplacer la pression des cordes : sous l’effet de leur tension, les cordes « appuient » sur le chevalet donc ses pieds s’écartent de 1 à 2 mm. L’écarteur permet de maintenir les pieds en position pour les ajuster parfaitement à la voûte de l’instrument.

Je positionne le chevalet sur le violoncelle en posant des repères (auto-collants pour ne pas abîmer le vernis) de part et d’autre. Il doit être centré par rapport à la touche, aux ouïes et positionné relativement à la barre d’harmonie (côté graves) et à l’âme (si elle est déjà en place, côté aigus).

J’ajuste les pieds au canif, exactement à la voûte existante, en tenant compte des déformations qui s’y trouvent (chocs, usure du vernis, patine du temps, etc.). Il faut aussi que l’arrière du chevalet soit perpendiculaire à la voûte.

Lorsque cet ajustage est optimal, je peux donner la hauteur du chevalet. Ici, je reporte 5 mm sur la corde aiguë et 7 mm sur la corde grave. En même temps, je reporte la rondeur (courbure) standard qui doit répondre à la courbe de la touche. Une hauteur de corde correcte et une bonne rondeur permettent un jeu aisé (cordes proches de la touche mais sans zinguer, écart cohérent entre les cordes, rondeur agréable sous l’archet).

Après la hauteur, je donne l’épaisseur finale : le haut du chevalet va en s’amenuisant jusqu’à 2 à 3 mm (sur les modèles d’étude). La face bombée est dirigée vers la touche.

Les côtés doivent être droits pour donner une impression de finesse alors qu’autour du coeur la progression se fait en courbe. Cette répartition des masses de bois influe sur la qualité du son, elle peut être modifiée lors d’un réglage de sonorité. Je travaille d’abord au canif (chanfrein) puis au rabot et à la lime, avant de polir le bois au tourne-fil (affiloir) pour le faire briller et éviter qu’il ne prenne trop les salissures lors du jeu (pores du bois fermés).

Ensuite, j’arrondis le dessus à la petite lime, puis au papier de verre : les cordes seront posées sur cette courbe, dans une petite gorge profonde d’un tiers de leur diamètre (= le cran). Si cette encoche est trop profonde, elle étouffe la vibration et abîme la corde au risque de la casser. Un petit tube, un parchemin ou une inclusion d’os peuvent être présents sous la corde LA (la plus fine) pour empêcher qu’elle « scie » le chevalet sous la pression.

Reste à tailler les pieds, le pont, les olives et le cœur, avant de faire les finitions. Je reprends mon canif pour ces étapes. Bien que l’esthétique joue dans la taille du chevalet, elle répond d’abord à des besoins acoustiques : en affinant les pieds, élargissant les olives et en réduisant la largeur des pattes latérales, on facilite la mise en vibration du chevalet. Attention toutefois : un chevalet qui vibre trop n’est pas un gage de bonne sonorité. Il faut donc savoir ôter du bois avec parcimonie et précision pour obtenir le résultat désiré.

Les chanfreins de finition sont faits pour ôter les arrêtes vives qui seraient rapidement abîmées, et permettent d’ajouter à l’esthétique de la taille.

Une dernière touche fonctionnelle : je colle un petit parchemin qui vient protéger le chevalet sous la corde la plus aiguë afin qu’elle ne « scie » pas le chevalet et je passe du graphite dans les encoches pour qu’elles y coulissent aisément.

Chaque luthier a une main et une manière de tailler qui lui sont propres, aussi, on ne peut pas confondre le travail de nos confrères. Et s’il subsiste un doute, la marque au fer vient d’ordinaire attester de la provenance du chevalet. En attendant la réception de la mienne, je signe mes chevalets sous le pont pour attester leur origine.

Reste à replacer le chevalet à sa place : les cordes doivent être centrées par rapport à la touche et le cran d’f (côté aigus) arrive au milieu du pied du chevalet. Lorsque je tends les cordes pour ré-accorder l’instrument, je prends garde à ce que le chevalet ne bascule pas vers l’avant en le redressant au fur et à mesure.

Et voici un chevalet tout neuf pour le violoncelle 1/2 (location) sur lequel Félicie apprend la musique !

VIOLONCELLE 1/2 AVEC SON CHEVALET NEUF